Ouvrir son regard sur l’autre

Ouvrir son regard sur l’autre

Etre présence d’Eglise auprès des personnes en situation de handicap mental, psychique ou sensoriel, partager leurs espérances, leur foi, leurs doutes… et surtout se laisser évangéliser par elles. Telle est la mission de la pastorale spécialisée présente dans tous les cantons romands.

Par Véronique Benz
Photos : Ciric, Ldd
Les personnes en situation de handicap ont une spiritualité qui a besoin d’être nourrie. C’est pour répondre à cette demande que la pastorale spécialisée a été créée. Née il y a près de 50 ans, cette pastorale œcuménique est présente dans tous les cantons romands. Elle est au service aussi bien des enfants scolarisés dans les classes d’enseignement spécialisé que des adultes vivant en institutions spécialisées dès leur majorité et jusqu’à la fin de leur vie.

Elle s’adresse aux personnes en situation de handicap mental, psychique et sensoriel, aux personnes avec un handicap léger ou plus lourd jusqu’aux personnes polyhandicapées. Les gens souffrant uniquement d’un handicap physique suivent la pastorale de manière « normale » au sein des paroisses et unités pastorales. Par contre, la pastorale pour les personnes sourdes et malentendantes fait partie de la pastorale spécialisée.

Une pastorale variée

La pastorale spécialisée est riche et diversifiée. Elle comprend la catéchèse dans les classes d’enseignement spécialisé, la préparation aux sacrements et leurs célébrations. « A chaque fois que cela est possible, nous accompagnons les enfants en paroisse pour qu’ils puissent vivre le sacrement au sein de leur unité pastorale », explique Nathalie Jaccoud, responsable du Centre œcuménique de pastorale spécialisée (COEPS) dans le canton de Fribourg.

Aux adultes, cette pastorale propose des temps d’animation spirituelle adaptés aux personnes en situation de handicap. Ces temps spirituels ont lieu une ou deux fois par mois, selon les cantons et les établissements. Des célébrations sont aussi organisées pour Noël, Pâques et Pentecôte. Dans certaines institutions du Valais, il y a régulièrement (chaque 15 jours) des célébrations.

Les équipes de pastorales spécialisées organisent aussi différentes activités (pique-nique, camp, sortie) pour permettre aux personnes en situation de handicap de se rencontrer et de vivre la convivialité hors du cadre institutionnel. Les responsables de la pastorale spécialisée soulignent qu’ils sont également là pour accompagner les moments difficiles de ces personnes : maladie, deuil, changement dans l’équipe éducative…

Les situations varient d’un canton à l’autre selon la présence ou non de cette pastorale dans les écoles et les institutions, selon les besoins et les demandes des personnes concernées.

« Notre ministère exige un certain rythme et beaucoup de moyens pédagogiques. Notre pastorale est un lieu d’écoute et de réconciliation », constate Marinette Maillard, aumônière en pastorale spécialisée dans le canton de Vaud.

Une présence importante

Dans le canton de Fribourg, la pastorale spécialisée est présente dans dix écoles pour la catéchèse, ce qui représente septante classes par semaine. L’équipe du COEPS anime vingt-huit groupes d’adultes répartis dans une dizaine d’institutions. « Nous rencontrons chaque mois environ mille personnes », précise Nathalie Jaccoud.

Dans le Jura pastoral, l’équipe intervient dans quatorze lieux, écoles et institutions d’adultes. Dans le canton de Genève, la pastorale spécialisée va dans sept institutions, essentiellement des lieux de vie pour adultes avec des handicaps divers et souvent associés. « Depuis trois ans, certains lieux ont fait le choix de ne plus nous accueillir. Nous n’allons par exemple plus dans des centres accueillant des enfants ou des jeunes polyhandicapés », regrette Anna Bernardo, responsable genevoise.

En pays de Vaud, cette pastorale est présente avec un bureau d’aumônerie dans quatre institutions et dans quelques petites écoles et institutions à la demande. A Neuchâtel, une grande institution gère la totalité de l’accompagnement des personnes en situation de handicap mental. L’équipe enseigne également la catéchèse dans deux institutions pour enfants et adolescents qui rencontrent des difficultés d’ordre scolaire, social et comportemental. « Nous intervenons selon les besoins dans environ dix à douze sites répartis dans le canton », note Pascale Auret-Berthoud, responsable de l’aumônerie œcuménique en institutions sociales dans le canton de Neuchâtel.

Dans le canton du Valais, les personnes engagées dans la pastorale spécialisée œuvrent dans neuf lieux différents regroupant cinq institutions.

Construire des ponts

Un des défis de la pastorale spécialisée est de continuer à œuvrer pour se faire connaître, pour dire au monde que vivre avec un handicap n’empêche en rien de vivre sa foi. Pour Nathalie Jaccoud, il est nécessaire de construire toujours davantage de ponts entre les paroisses et les institutions pour permettre au plus grand nombre de vivre la joie d’une rencontre avec le Christ. « Nous espérons réunir beaucoup de personnes lors de notre prochain rassemblement “Ensemble, c’est pas bête !” qui aura lieu le 29 septembre 2018 sur la place Python de Fribourg. Cet événement rassemblera le COEPS, Foi et Lumière, L’Arche Fribourg, et la Communauté des Sourds de Fribourg. »

« Dans le canton de Genève, nous avons pris conscience que notre présence au sein des institutions n’était possible que grâce au bon vouloir des directeurs. Nous devons créer des liens avec des membres de la direction afin de les convaincre de l’importance de la spiritualité dans la vie des personnes en situation de handicap », relève Anna Bernardo.

Une équipe romande

Les responsables de la pastorale spécialisée en Suisse romande se retrouvent quatre fois par an. Ces rencontres leur permettent de partager les différentes problématiques liées aux handicaps et d’échanger des idées. L’équipe romande œcuménique de pastorale spécialisée organise chaque année une journée de formation pour les personnes engagées dans cette pastorale. Elle a également mis sur pied une plateforme informatique commune afin de pouvoir partager les différentes animations, les supports pédagogiques et les célébrations préparées spécialement pour les personnes qui vont en bénéficier.

Pour toutes les personnes engagées dans la pastorale spécialisées l’important est de pouvoir rejoindre le visage de Dieu dans chaque être, bien portant ou en situation de handicap : un défi quotidien !

Une présence de Dieu palpable

Pchristine-et-beatricear Béatrice Buntschu, catéchiste en pastorale spécialisée 

« Chaque jeudi, je rencontre plusieurs groupes d’enfants et d’adolescents en situation de handicap qui suivent une scolarité adaptée à leurs compétences. A chaque fois, je suis surprise par la joie qu’ils manifestent ! Le caté est pour eux un moment très attendu dans la semaine. Je pourrais être tentée de croire que c’est moi ou les activités que je propose qui causent cette joie. Vingt ans d’expérience me révèlent autre chose : pendant l’heure de caté, on ne s’arrête pas aux difficultés et aux limites, on les laisse de côté pour s’intéresser à l’essentiel, comme Dieu qui ne regarde pas l’extérieur comme nous autres, mais le fond du cœur (1S 16, 7). Ces élèves sont surdoués pour cela, contrairement à nous qui sommes très encombrés. Les récits bibliques résonnent pour eux très fort dans ce sens. La présence de Dieu se fait palpable dans leur accueil foncièrement bienveillant. Ces élèves me surprennent toujours. Ils changent mon regard sur les personnes que je rencontre, sur le sens de la vie. »

Des liens à créer

Par Christine Hchristine-et-beatrice2aas, catéchiste et animatrice en pastorale spécialisée 

« J’ai la chance d’intervenir à la fois comme catéchiste auprès d’enfants en école spécialisée et comme animatrice en aumônerie auprès d’adultes en situation de handicap. Cela me permet de rencontrer des personnes dont les âges vont de 6 à plus de 70 ans, avec des difficultés ou des handicaps très différents selon les personnes.

Plus qu’un travail, ce que nous faisons passe par des liens à créer avec chaque personne, en fonction d’elle, de ce qu’elle est et de ce qu’elle vit. Mais ces liens vont dans les deux sens : quelle joie d’arriver et de savoir que je suis attendue, d’être accueillie avec enthousiasme. Ces personnes qui ont un autre regard sur la vie ont aussi entre elles et envers les personnes qui s’intéressent à elles une attention et une solidarité que nous ne voyons pas ailleurs. Même si c’est moi la catéchiste ou l’animatrice, ce sont eux qui ouvrent mon regard vers Dieu, avec qui ils ont une relation qui ne passe pas par nos détours intellectuels, et vers les autres. »

Foi et Lumière

barqueIl y a actuellement treize communautés Foi et Lumière en Suisse auxquelles une communauté du Jura français s’est rajoutée. La communauté rassemble des personnes handicapées, des parents et des amis. Fondée sur l’alliance d’amitié. La personne ayant un handicap mental en est le cœur. Elle est un lieu de prière, de formation et de partage. Les liens personnels tissés entre les rencontres sont très importants. www.foietlumiere.ch

Adresse

Equipe romande de pastorale spécialisée
Bd de Pérolles 38, 1700 Fribourg,
Nathalie Jaccoud, 026 426 34 30,
nathalie.jaccoud@cath-fr.ch