Peut-on encore parler de sexe dans l’Eglise?

Peut-on encore parler de sexe dans l’Eglise?

Interpellés par les besoins d’accompagnement en matière affective et sexuelle, des chrétiens et des chrétiennes se mobilisent.

Par Bénédicte Jollès
Photos: Pixabay, DR

Faire grandir harmonieusement son couple n’est pas toujours évident.

Les chrétiens et les chrétiennes peuvent-ils encore oser une parole sur la sexualité à l’heure des scandales sur la pédophilie de certains prêtres ? Pour Thierry Collaud professeur de théologie morale à Fribourg, « il serait dommage de se taire. Ces drames doivent pousser l’Eglise à réfléchir sur son rapport à la sexualité et sa façon de parler. Il faudrait sortir du couple interdit-transgression pour travailler une morale sexuelle tenant compte de la complexité des humains fragiles et pécheurs ».

Pour le théologien, ancien médecin, il est urgent de valoriser incarnation et sexualité, ce qu’a fait le pape Jean-Paul II avec sa théologie du corps. « Combien de chrétiens savent que, dans la Bible, le Cantique des cantiques est consacré à la beauté de l’amour érotique, image de l’amour divin ? » interroge Thierry Collaud. Conscient que cette recherche de l’amour est parfois difficile, le Père Michel Fontaine, professeur honoraire à la Haute Ecole de santé La Source et curé de Saint-Paul à Genève, propose, avec ses frères dominicains, des soirées portes ouvertes : lieux d’accueil et d’écoute. « Chacun, quel que soit son parcours, doit se sentir accueilli. Faire découvrir que Dieu a un projet d’amour pour lui et combien le pardon sort de l’enlisement est essentiel », précise-t-il. En effet, faire grandir harmonieusement son couple ou vivre la fidélité n’est pas évident aujourd’hui, en Suisse ; le taux de divorce dépasse 41 %. Pas simple parfois non plus de garder sa liberté face à la pornographie qui s’invite sur nos écrans. 

Un accompagnement

A Pensier près de Fribourg, les week-ends organisés par le Verbe de Vie pour les couples sont complets à l’avance. Floriane et Jean, parents de deux préadolescents, les fréquentent : « Nous avions chacun besoin d’apprendre à faire des concessions. Les tensions rejaillissaient dans notre intimité physique », expliquent-ils en se prenant la main. Ils reconnaissent avoir appris souplesse et tendresse. Leur soutien quand les choses se crispent ? « La prière ensemble qui aide à rester dans l’humilité. »

Le contexte médiatique réducteur sur la sexualité et l’Eglise, empêche de découvrir l’originalité et la profondeur de sa réflexion. Conscients de sa richesse, des prêtres et des laïcs s’engagent pour proposer un accompagnement : ils rappellent la beauté et le sens de la sexualité, don de Dieu confié à l’homme.  « L’acte d’amour dans sa réalité sexuée est une coparticipation à l’œuvre d’amour du Père, il nous renvoie à la vérité et à la signification de la sexualité », souligne le Père Michel Fontaine. Ainsi, chaque canton est pourvu d’une équipe de pastorale familiale qui propose préparation au mariage et accompagnement de couples. Elle s’appuie sur le savoir-faire de nombreux mouvements : Equipe Notre-Dame, Elle et lui, Vivre et aimer… 

Chacun, à sa façon, permet au couple de faire le point, de trouver des outils pour surmonter ses problèmes et aborde à un moment ou à un autre des notions clés telles que le pardon, la communication, la sexualité ou la fécondité. En  Valais, Florence Gabioud, animatrice de la pastorale familiale avec son mari, explique : « Il faut aller à la rencontre des jeunes : quand les difficultés s’installent et que l’on évoque le divorce c’est trop tard. » D’autres couples les anticipent : « Ils viennent vers nous quand ils veulent aller mieux », constate Nicole Delitroz de l’Avifa à Fully, avant de préciser : « Certains peinent à parler de leur intimité. »

Travailler ensemble

La pastorale familiale oriente vers des thérapeutes spécialisés si besoin : conseiller conjugal, psychologue ou sexologue. Des personnes ressources accompagnent sur des questions particulières telles que l’aide à la conception, la régulation naturelle des naissances ou la lutte contre la pornodépendance. 

« La Bonne Nouvelle apportée par le Christ renouvelle notre façon d’aimer, elle permet de voir le sens de notre sexualité » explique Bertrand Georges, diacre marié et responsable avec son épouse de la pastorale familiale à Fribourg. « Seul le don de chacun permet l’épanouissement, il est source de communion, de plaisir, de joie et de fécondité », poursuit-il en s’appuyant sur le catéchisme de l’Eglise catholique. « Le Seigneur nous veut heureux dans toutes les dimensions de notre mariage y compris la sexualité, il donne son soutien aux époux qui le lui demandent. » Avec son épouse et la communauté de l’Emmanuel il propose le Parcours Oxygène.

A Fribourg et dans le Tessin, des groupes d’études sur l’amour approfondissent la théologie du corps qui a fait sortir l’Eglise du puritanisme. Ils attirent couples, célibataires ou consacrés. Un groupe de jeunes vient de démarrer. Preuve que tous ont intérêt à travailler ensemble.

Pour les jeunes aussi

Les adolescents ne sont pas oubliés des formateurs chrétiens. Le parcours Teen Star est fréquemment proposé. Sophie, 13 ans, le suit à la paroisse Saint-Nicolas à Lausanne : « J’aime échanger avec des adultes autres que nos parents qui répondent à nos questions », explique-t-elle. Ce parcours inspiré par une religieuse, gynécologue américaine, aide à se connaître et à se préparer à un amour durable. « Sur Youtube la sexualité est présentée de façon caricaturale et ne respecte pas ce que l’on veut vivre, là je trouve d’autres informations », explique Sophie. 

« Notre société est hypersexualisée, la pornographie est partout », constate Nicole Delitroz de l’Avifa, « les parents peinent à parler avec leurs jeunes qui ont besoin de repères ». Et pourtant des formules peuvent les aider : dans le Valais les ateliers Mère&fille ou CycloShow s’adressent à des duos mère-fille et abordent les changements corporels de l’adolescence. « L’équivalent existe pour les garçons à travers l’atelier XY évolution proposé par CorpsEmoi en Suisse romande et à Fribourg. « Le fait que parent et jeune entendent la même chose fait grandir la confiance mutuelle et facilite ensuite la conversation en cas de besoin », se réjouit Nicole Delitroz.

Des propositions en Suisse romande

• Avifa Suisse romande :
pour les jeunes et les couples qui cherchent à donner un sens à l’amour et à la famille. Avifa.ch

• Oxygène :
pour les couples mariés, proposé par la communauté de l’Emmanuel et la pastorale familiale de Fribourg. Fribourg.pastorale-familiale.ch

Vivre et Aimer :
pour un couple plus vivant : vivre-et-aimer.org

Elle&lui :
un couple ça se construit, pour faire le point sur son couple et avancer… Ellelui.ch

Revivre :
pour se relever suite à une séparation ou un divorce. Cours-revivre.ch

theologieducorps.ch :
l’amour humain dans le plan divin, à partir des textes de Jean-Paul II. 

Teen Star :
parcours sur l’affectivité et la sexualité pour adolescents de 13 à 15 ans. Teenstar.ch

Corpsemoi.ch :
ateliers pour accompagner les 10-14 ans sur le thème de la sexualité et la fécondité. Père et fils (XY évolution), mère et fille (Cycloshow). Neutre religieusement, compatible avec une approche chrétienne.