Silence!

Silence!

Le maître mot de notre monde actuel, c’est le débat. Il faut débattre de tout. Les chaînes TV, les journaux, les réseaux sociaux nous inondent de personnes aux idées contradictoires qui ne s’écoutent pas et qui se coupent sans cesse la parole. Chacun semble détenir la vérité, mais pour finir, c’est le flou complet. Il faudrait soi-disant suivre ces logorrhées pour se forger une opinion. N’y aurait-il pas d’autres voies pour discerner ce qui est bon pour chacun et pour la collectivité?

Par Calixte Dubosson
Photos: DR, Flickr, Pixabay

Un monde de bruit

Dans cette vie moderne, nous avons la possibilité, si nous le souhaitons, de ne jamais être en silence. Il y avait déjà la télévision, les publicités… Et maintenant il y a aussi Internet et les réseaux sociaux, accessibles partout depuis notre poche, prêts à remplir les moindres interstices de nos existences. Une question, un doute ? Google a la réponse. Un sentiment de vide ? Vite, remplissons-le avec des vidéos YouTube ! Il est de plus en plus habituel de croiser dans nos rues des personnes coiffées avec des écouteurs ou de petits objets qui remplissent leurs oreilles. Ainsi, elles sont constamment à l’écoute de leur musique ou groupe préféré. Le bruit est familier et rassurant, il nous évite de nous confronter à ce grand vide qu’est le silence. Mais le silence, est-ce vraiment le vide ? Pas vraiment, en fait. J’y répondrai plus tard.

Un jeune me dit : « J’aime bien écouter ma musique lors de mes temps libres, car elle me permet de m’évader de ce monde qui me fait peur et qui, chaque jour, déverse sur moi un flot de mauvaises nouvelles telles que les guerres et les catastrophes. » Un autre me confie : « Avec mon smartphone qui me permet de choisir toutes les musiques que j’aime, je peux oublier quelques instants tous mes problèmes et j’en ai beaucoup ! »

La parenthèse du Covid

Au début de 2020, la pandémie du Covid est venue frapper à nos portes. Nous voici confinés, le travail mis à distance, la famille et les amis au loin, les églises vidées, les rencontres numérisées. Les moteurs s’étaient tus. Les avions restaient au sol, les engins de chantier au hangar et la plupart des voitures au garage. Les citadins redécouvraient dans leurs rues devenues étrangement silencieuses, le chant des oiseaux, persuadés pour certains que ces derniers étaient revenus en ville alors qu’ils étaient toujours là. Seulement, à ce moment-là, leur chant parvenait enfin à leurs oreilles. Les moteurs s’étaient tus, mais les hommes ? « Très vite, l’air s’est révélé saturé d’informations, d’annonces, de débats, de protestations. Les chiffres annoncés chaque soir, les déclarations officielles, les oppositions, les contre-pieds… Jour après jour, et de plus en plus avec les vagues successives, l’angoisse, la peur, la colère et l’incompréhension ont pris le pouvoir, et ce fut à grand bruit », commente Anne Le Maître1.

Les débats pour se forger une opinion

Le maître-mot de notre monde actuel, c’est le débat. Il faut débattre de tout. Les chaînes TV, les journaux, les réseaux sociaux nous inondent de personnes aux idées contradictoires qui ne s’écoutent pas et qui se coupent sans cesse la parole. Chacun semble détenir la vérité, mais pour finir, c’est le flou complet. Il faudrait soi-disant suivre ces logorrhées pour se forger une opinion. Quotidiennement, les chaînes d’info en continu (Cnews, LCI), mais aussi BFM TV diffusent des heures de débats sur l’actualité, en fin de journée. Les plateaux de télévision sont précisément conçus pour mettre en scène un débat contradictoire : l’animateur, au centre de l’image, distribue la parole et arbitre entre des invités qui se font face. Une sorte de deux contre deux ou de trois contre trois, avec au bas de l’image, un bandeau mentionnant le thème du jour afin que le téléspectateur puisse prendre le débat en cours de route.

La mise en scène est donc pensée pour susciter le débat. A priori, celui-ci doit être équilibré. Par exemple, sur les sujets politiques, les chaînes essaient de donner la parole aux différentes tendances politiques, en invitant soit des responsables de partis politiques, soit des journalistes ayant des opinions politiques différentes. Mais est-il possible de s’assurer que le profil des intervenants choisis garantisse cet équilibre ? De plus, le téléspectateur peut-il vraiment se convaincre que derrière les arguments énoncés avec un tel aplomb et une telle assurance, se dégage une vérité qui met tout le monde d’accord ? Pourtant, chacun de nous a soif de savoir quelle est la vérité des choses. On reste sur notre faim avec ce sentiment désagréable d’avoir perdu notre temps et un bon moment de sommeil qui nous aurait fait autant de bien que ces débats stériles souvent émaillés de remarques pas très évangéliques envers les intervenants. N’y aurait-il pas d’autres voies pour discerner ce qui est bon pour chacun et pour la collectivité ? Le silence, celui de la nature et des ordres monastiques, par exemple ?

Le silence de la montagne

La vie est faite de contraintes, de stress, de monotonie. Elle a besoin de respirer, de se dégourdir, d’élargir son regard. La montagne est ce lieu privilégié pour vivre ce que les enfants des écoles appellent : récréation. Ces quelques minutes si précieuses pour libérer une énergie jusqu’ici contenue, rejoignent ces instants magiques vécus dans les décors de nos alpes majestueuses. Dans la vie, notre oreille recueille plus le bruit des catastrophes que le murmure des petits gestes de l’amour. Elle s’use et désespère à enregistrer le mal du monde. Elle n’entend plus la musique de l’espérance. En montagne, elle perçoit de nouveau la beauté du monde. Un aigle plongeant dans le bleu de l’azur, le soleil qui vient éclairer la marche silencieuse de l’aube, les oiseaux feignant de vous ignorer et qui se ruent sur les restes du pique-nique, les chamois baignés de lumière : tout cela aiguise le regard, le nourrit, enchante l’âme et ravive notre foi en la vie contrairement aux mauvaises nouvelles distillées chaque jour par les réseaux sociaux qui nous font désespérer de la vie.

Comment écouter si l’on ne se tait pas ?

Le silence monastique

Je vais régulièrement à l’Abbaye de Tamié pour me ressourcer. Entre les murs de l’Abbaye, des moines silencieux pour qui Dieu est le seul voyage valable. Des marcheurs d’éternité qui ont choisi pour chemin la voie du silence. « Ecoute », tel est le premier mot de leur règle, rédigée par saint Benoît qui encourage le moine à « incliner l’oreille de son cœur ». Et comment écouter si l’on ne se tait pas ? Et comment parler si l’on n’a pas pris le temps de réfléchir et de méditer ? « Le Christ ne parle pas fort, disait un jour une amie carmélite, expliquant à des jeunes son choix d’une vie sans paroles. Il faut faire silence pour l’entendre. » 

Dans le cloître intérieur qu’est la vie intime des moines et des moniales, détachée du tumulte et de la superficialité, dans cet espace de contemplation qu’ils ont choisi, là se tient la Présence. La Présence devenue homme en Jésus. Je ne cesse de me remémorer l’image de cet homme silencieux face à la femme adultère, de ce Dieu dessinant sur le sable qui ne répond pas quand on l’interroge, cet homme gardant le silence face à ses contradicteurs. Le silence quand la foule acclame. Le silence quand la foule accuse. Le silence qui parle plus fort que tous les discours.

1 Anne Le Maître, « Un si grand désir de silence », Cerf, 2023, p. 32.

L’Abbaye de Tamié, lieu de ressourcement.

Des exemples parlants

Nous pouvons être témoins à longueur de journée de débats stériles, mais aussi pimentés ! 
Il suffit d’allumer son poste TV. En voici deux exemples très parlants : 

Dialogue de sourds et débat TV
– Je suis pour une baisse de l’impôt contrairement à mon vis-à-vis qui pense…
– Je vous arrête tout de suite, car…
– Laissez-moi parler, je vous ai laissé vous exprimer, alors ne me coupez pas.
– On ne peut pas laisser dire n’importe quoi…
– C’est vous qui dites n’importe quoi. Comment peut-on prétendre à de hautes fonctions publiques si l’on n’est pas capable de dire la vérité aux téléspectateurs ?
– Vous ! Le détenteur de la vérité, laissez-moi rire !

Débat pimenté : l’exemple Chirac-Mitterrand
• Chirac : « Permettez-moi juste de vous dire que ce soir, je ne suis pas le Premier ministre et vous n’êtes pas le président de la République… Nous sommes deux candidats, à égalité, et qui se soumettent au jugement des Français, le seul qui compte. Vous me permettrez donc de vous appeler Monsieur Mitterrand. »
• Mitterrand : « Mais vous avez tout à fait raison, Monsieur le Premier Ministre. »

Les chaines d’info en continu diffusent des heures de débat, souvent stériles.

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