Un combat pour la liberté

Un combat pour la liberté

Ouvrir sa Bible, se rendre à l’église ou prier. Des actes communs voire même ringards en Europe, mais d’une importance capitale dans d’autres régions du globe. Ces gestes en apparence anodins plongent de nombreux chrétiens dans les affres de la violence et peuvent même les conduire jusqu’à la mort.

Par Myriam Bettens
Photos : Portes Ouvertes, Ciric

La Corée du Nord détient depuis dix-huit ans le triste record du pays le plus répressif envers les chrétiens selon l’Index mondial de persécution des chrétiens. Ce pays, qualifié de prison à ciel ouvert, envoie en camps de concentration tous ceux qui sont suspectés de dissidence. Etre chrétien entre dans cette catégorie. Considéré comme une déviance, « le délit » est punissable des pires tortures. Portes Ouvertes, une ONG internationale chrétienne d’aide aux chrétiens persécutés (ndlr. voir en page VIII), estime qu’environ cinquante à septante mille d’entre eux sont emprisonnés en camps de travaux forcés.

De la vie à trépas pour la foi

Timothy témoigne lors d’une soirée « visioconférence avec l’Eglise persécutée » organisée par cette même organisation récemment. Aujourd’hui réfugié en Europe, il ne dévoile ni son visage, ni son identité. Il se sait surveillé même par-delà les frontières. Emprisonné quatre fois dans les geôles du régime communiste de Pyongyang, l’exilé ne s’étale pas sur ce qu’il s’y passe, mais parle de « conditions de vie inhumaines ». Ce que confirme un rapport publié cet automne par l’organisation britannique Korea Future Initiative. Ce dossier intitulé Persécuter la foi : documenter les violations de la liberté religieuse en Corée du Nord fait état de violences dépassant l’imaginable. On pourrait donc s’attendre à ce que le nombre de chrétiens diminue dans le pays le plus fermé de la planète. Or, le directeur de Portes Ouvertes suisse, Philippe Fonjallaz, affirme que « persécution n’est pas synonyme de disparition ». Au contraire, trois cent mille d’entre eux persévèrent dans leur foi et fréquentent des « assemblées souterraines » au péril de leur vie. Mais la situation reste préoccupante dans de nombreuses régions du globe.

Des causes multiples de persécution

L’Index mondial de persécution, publié chaque mois de janvier par l’ONG chrétienne ne cesse de virer au rouge, couleur utilisée pour indiquer les pays dans lesquels les persécutions demeurent les plus violentes. Cet instrument de mesure, fondé sur des avis d’experts, est ensuite croisé avec différentes sources afin d’en garantir l’objectivité. Les personnes consultées sont des chercheurs spécialisés de l’ONG et des ressources externes. Le constat reste sans appel : « D’année en année la situation se dégrade pour les minorités, déclare Philippe Fonjallaz. Trois facteurs principaux la favorisent : la montée des nationalismes, le développement de l’islamisme et les dictatures. » Dans le premier cas, il donne l’exemple de l’Inde avec l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi et son parti ultra-nationaliste, le Bharatiya Janata Party (BJP), très hostile aux chrétiens et à toute minorité non hindouiste. Le second critère concerne les groupes armés se réclamant d’un islam radical, « ils s’attaquent à tous ceux qui ne conçoivent pas la religion comme eux et déstabilisent des pays déjà fragiles politiquement ». La dernière raison pointe les Etats totalitaires cherchant un monopole sur la pensée comme par exemple en Corée du Nord ou en Erythrée. Le directeur attire l’attention sur le fait que lorsque la liberté religieuse est attaquée « c’est un signal clair de problèmes au niveau des droits humain en général ».

Le coupable idéal

En Europe, il paraît inimaginable de subir des pressions quant à la pratique de sa foi. La liberté de conscience, de rassemblement et de croyance semble garantie. Pourtant les persécutions peuvent parfois prendre un tour plus sournois. Certains événements récents nous l’ont montré à la faveur de la panique provoquée par l’émergence du coronavirus en France. Le 3 mars 2020 marque le début d’une « déferlante » pour l’Eglise évangélique La Porte Ouverte de Mulhouse. Une vague de haine sans précédent s’abat alors sur son pasteur, Samuel Peterschmitt, et ses fidèles. Sous le feu des critiques, la communauté évangélique alsacienne est accusée par tous les médias d’avoir favorisé la propagation du coronavirus dans la région Grand-Est et même au-delà à la suite d’un grand rassemblement de plus de deux mille personnes en février dernier. A la suite des nombreux articles parus dans la presse, le pasteur Samuel Peterschmitt et plusieurs de ses paroissiens essuient insultes à caractère christianophobe, coups de fil anonymes et menaces de mort. « Des appels « à cramer l’église » et à nous « descendre à la Kalashnikov » ont par exemple été diffusés sur les réseaux sociaux », décrit le prédicateur. Le pasteur alsacien affirme que le ressentiment à leur encontre a même franchi un cap. Il cite l’exemple de ce paroissien, renvoyé de son travail, car ouvertement adhérent de son assemblée. Puis encore cette femme, dont le choix se résumait à quitter définitivement la communauté ou ne plus jamais revoir ses petits-enfants.

Garder espoir malgré tout

Samuel Peterschmitt souligne que « l’hostilité nous concernant était certainement déjà présente, mais le coronavirus a agi comme un révélateur, libérant la parole et la haine ». Le pasteur évangélique demeure inquiet pour l’avenir. « Combien de temps pourrons-nous encore lire la Bible et la prêcher ? On ne peut pas faire semblant que cela n’arrivera jamais chez nous. » Plus optimiste, Philippe Fonjallaz indique : « Il est vrai que les chrétiens font face à de nouveaux défis liés au témoignage de leur foi dans nos pays, mais cela doit justement encourager l’Eglise à rester sel et lumière en toutes circonstances et à annoncer l’espérance attachée à l’Evangile malgré les difficultés ou les restrictions, comme les chrétiens persécutés nous l’apprennent. » Il est aussi convaincu du pouvoir de la prière et appelle sans relâche toutes les communautés chrétiennes à s’unir dans l’intercession pour les chrétiens persécutés. Le témoignage d’un chrétien nord-coréen ne le détrompe pas : « Je crois qu’au moment fixé par Dieu, toutes les prières seront exaucées et nous aurons la liberté de foi en Corée du Nord. »

Nuit des témoins, organisée par l’Aide à l’Eglise en détresse.

Organisations solidaires

Voici une liste (non exhaustive) de quelques autres organismes œuvrant auprès de l’Eglise en détresse :

  • Christian Solidarity International (CSI)
  • Action pour les chrétiens persécutés et les personnes dans la détresse (ACP)
  • Aide aux Eglises dans le Monde (AEM)
  • Aide à l’Eglise en détresse (AED)
  • Licht im Osten (LIO)
  • Persecution.ch: faîtière regroupant des organisations actives dans le domaine en Suisse, afin de plaider la cause des chrétiens auprès du monde politique

Une double identité »

Rébecca Rogers est collaboratrice de Portes Ouvertes pour le secteur des relations aux médias et des publications en lien avec cette thématique. Un terrain sensible dans certains Etats où aborder la question des droits humains n’est pas possible. Fait troublant la concernant, son patronyme est un pseudonyme. « Cette pratique remonte au fondateur, frère André, pour pouvoir voyager librement. » Tous les intervenants en rapport avec des personnes soutenues sur le terrain portent des noms d’emprunt. « Cela afin ne pas essuyer de refus lors de demandes de visa pour se rendre dans des pays sensibles » et également pour protéger les chrétiens aidés ainsi que les collaborateurs et leurs familles. « Avec le recensement internet il est facile de faire le lien entre un visage et l’identité correspondante. C’est la raison pour laquelle Rébecca n’a pas de visage », affirme-t-elle. « Cette politique s’applique aussi à l’image et aux publications privées (sur les réseaux sociaux, ndlr). » Ce qui peut sembler un sacerdoce ne l’est en fait pas : « Le sens de la mission était très important pour moi. C’est une petite part en comparaison des restrictions que subissent les chrétiens au quotidien. » Pour sa part, elle n’a jamais subi de pressions ici en Suisse, mais évoque la situation d’un homme rencontré dans un centre de requérants d’asile dans le cadre d’un article. Converti de l’islam au christianisme sur les routes de l’exil, il endure pressions et menaces quotidiennes de ses anciens coreligionnaires, cela jusqu’à devoir quitter le centre pour se protéger.

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