Un humour très anglais, celui de saint Thomas More

Un humour très anglais, celui de saint Thomas More
Tiré du magazine paroissial L’Essentiel, UP Sainte-Claire (FR), juillet-août-septembre 2020

Par le Père Jean-Blaise Fellay sj | Photo: LDD

Sir Thomas More est un personnage exceptionnel. Grand érudit, un des meilleurs juristes de son temps, croyant sans faiblesse, d’une modestie charmante, bon père de famille, chancelier d’Angleterre, il est devenu un martyr de l’Eglise catholique. 

Né le 7 février 1478 à Londres, il étudie le droit à l’université d’Oxford. Il se lie à John Colet, chanoine de Salisbury, grand ami d’Erasme de Rotterdam. Ils forment le noyau de l’humanisme anglais, fondé sur l’étude des Lettres, de la Bible et des Pères de l’Eglise. Tenté par une vie de chartreux, More préfère se marier en 1505 et devient père de trois filles et d’un fils. Au service du cardinal Wolsey, Chancelier d’Angleterre, il est engagé ensuite au Conseil privé du roi Henry VIII, devient trésorier de la Couronne, speaker du Parlement, puis Chancelier d’Angleterre en 1529. C’est la première fois qu’un laïc accède à ce poste. 

Le roi Henry VIII veut à tout prix un héritier mâle et donc obtenir du pape Clément VII l’autorisation de divorcer. Il attend beaucoup des capacités diplomatiques et juridiques de son chancelier. Mais More est également versé en théologie, et c’est un catholique convaincu. Il s’estime fidèle serviteur du roi mais plus encore fidèle disciple du Christ. Il ne peut approuver la décision royale de prendre la tête de l’Eglise d’Angleterre et de briser avec Rome. Il n’assiste pas au mariage du roi avec Anne Boleyn. C’est la rupture.

More est dégradé. Mis en jugement le 1er juillet 1535, il est condamné à être « pendu, éviscéré et écartelé » pour trahison. Le roi concède une faveur à son ancien chancelier en commuant la peine en une simple décapitation. More commente : « Dieu préserve mes amis de la même faveur ! »

Lors de l’exécution, More, affaibli par les rigueurs de la détention, peine à monter les marches de l’échafaud. Avec sa politesse coutumière, il s’adresse à l’officier qui l’accompagne : « Je vous en prie, Monsieur le lieutenant, aidez-moi à monter. Pour la descente, je me débrouillerai… » Face à la foule, il se déclare « Bon serviteur du Roi, et de Dieu en premier ». Au bourreau, il affirme que « sa barbe est innocente de tout crime et ne mérite pas la hache ». Il la positionne de manière à ce qu’elle ne soit pas tranchée. Elle ne le sera pas. 

Il faut regarder le beau portrait que le peintre Hans Holbein a fait de Thomas More. On perçoit dans ce visage la source de son humour. C’est un homme de conviction : grand croyant, ami fidèle, bon époux, excellent père, ministre loyal. Son intelligence lucide, un sens moral sans faille ont vite perçu les faiblesses des hauts personnages de son temps et la veulerie de leur entourage. Sa droiture contraste avec leur hypocrisie et leurs mensonges. Par son humour, il dénonce leurs crimes sans entrer dans l’insulte et la violence.

Moins d’une année plus tard, la tête de la malheureuse Anne Boleyn tombait également sous la hache du bourreau, au titre d’accusations aussi fallacieuses que celles qui avaient coûté celle de Thomas More. C’est le 19 mai 1935, quatre cents ans plus tard, que le pape Pie XI canonise le courageux martyr.